
Gazelle, chien ou caméléon ?
Je viens d'écouter l'infectiologue Eric Caumes expliquer sur une chaîne publique d'information que les contraintes sanitaires actuelles jouent probablement un rôle dans
l'aggravation des pathologies psychologiques que l'on note depuis ces derniers mois. Les urgences psychiatriques à l'hôpital se remplissent et les centres médico-psychologiques accusent un
rebond dans les consultations pour la dépression et l'anxiété. En tant que médecin, il s'inquiéte d'une augmentation vertigineuse du taux de dépression, en France, dans le sillage de
pandémie de Covid-19. Le taux de dépression est en train d'augmenter de manière vertigineuse dans la population générale, il est passé de 10% fin septembre à 21% début novembre. Il a doublé en
six semaines. Le 18 novembre dernier, Olivier Véran, Ministre des solidarités et de la santé, déclarait : " le gouvernement veut à tout prix éviter une 3ème vague, qui serait
celle de la santé mentale ". Et, pour clôturer ce petit tour d'horizon, une étude récente de Santé Publique France alerte sur un risque augmenté de 30% de dépression, et de 20 % de troubles
anxieux.
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Voila de quoi inquiéter le citoyen que je suis et voilà qui me donne envie de revenir sur le fonctionnement de notre corps face au stress dans le but de trouver des solutions.
Depuis bien longtemps, les organismes vivants ont mis en place, dans leur mesure de leur possibilité biologique, 3 programmes automatiques pour répondre à une menace immédiate :
1 Fuir le danger.
C'est la réponse de la gazelle face au lion. Elle court vite longtemps tandis que le lion s'élance avec rapidité pour créer un effet de surprise mais stoppera sa course peu de temps après.
Ses muscles fonctionnent comme ceux du chat, ils lui permettent d'avoir une vitesse immédiate mais relativement brève. S'il n'atteint pas vite sa proie, il reprend son poste d'observation, à
nouveau prêt à courser une future victime.
C'est aussi votre cas si, vers minuit, dans une ruelle obscure, vous croisez un individu menaçant, un couteau à la main. Sans demandez votre reste, vous prenez vos jambes à votre cou, en hurlant
"au secours" pour éventuellement demander de l'aide. Efficace si vous avez une expérience sportive genre sprint. Entraînement préalable souhaité sinon je ne parie pas sur vous.
2 Affronter le danger.
C'est la réponse du chien qui aboie violemment et qui mord tout ce qui bouge devant lui. Quelque soit l'adversaire en face de lui, ce dernier risque de passer un mauvais quart d'heure et de se
retrouver rapidement à l'hôpital (ou chez le véto si c'est un congénère).
En ce qui vous concerne, si vous décidez d'utiliser ce programme, il vaut mieux avoir derrière vous quelques années de boxe professionnelle ou d'arts martiaux, éventuellement une expérience de
sumo japonais, pour espérer une issue favorable. A déconseiller sans une longue pratique auprès d'un maître qualifié.
3 S'immobiliser pour "disparaître".
C'est le choix du camélon chromatophore qui change de couleur pour se camoufler afin de se cacher de ses prédateurs. Il prend la teinte de l'arbre sur laquelle il s'agrippe et devient "une
branche" immobile parmi les branches, donc invisible aux yeux d'autrui. Pas de mouvement qui pourrait le trahir et même teinte que la couleur de l'écorce sur laquelle il est. Ce 3° programme,
bien que très ancien dans l'histoire animale, n'est plus vraiment efficace dans notre monde humain moderne. J'ose même dire qu'il est dangereux. Peut-être avez-vous essayé de "faire le
mort" face aux relances postales des impôts ou de l'urssaf qui vous réclament des sommes sans cesse croissantes ? Eh bien, l'ai le regret de vous annoncer que les huissiers vous retrouvent
toujours pour vous faire payer encore plus.
Derrière cette petite blague, se cache une grande vérité sur le fonctionnement du cerveau. Cette posture d'urgence nous place dans ce que les neurologues appellent l'inhibition de l'action,
situation néfaste pour l'organisme qui risque d'en payer le prix à plus ou moins brève échéance. Les choix de fuite ou d'agression ont l'intérêt de diminuer rapidement le niveau de stress dans le
corps grâce à l'action physiologique des muscles impliqués. Au contraire, quand on ne peut ni fuir ni lutter, le stress devient destructeur puisqu'il ne reste qu’à subir passivement la
situation.
Henri Laborit, médecin spécialiste du comportement animal et humain dès le milieu du 20° siècle, y voyait le fondement biologique de notre besoin d’autonomie, voire de notre
désir de démocratie participative. Il critiquait les hiérarchies (administratives, politiques, etc.) au nom du stress qu’elles faisaient subir aux "dominés", n’hésitant pas à donner une origine
psycho-sociale dans les perturbations biochimiques de certains problèmes actuels de santé - que ce soit l'anxiété ou la dépression chronique - qui accablent beaucoup de nos contemporains.
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En tant que formateur à la pédagogie vocale, je suis confronté à cette inhibition de l'action lorsque je place les stagiaires en situation d'enseignement à l'occasion de séminaire dit de
supervision. Ils doivent organiser un cours de vingt minutes avec un(e) chanteur(se)-invité(e) jouant sincèrement le jeu de prendre un cours de chant. Mais ils doivent le faire en ma présence
qui, bien que silencieuse le temps de l'intervention, est loin d'être anodine puisqu'ils savent qu'ensuite, je prendrai la parole pour analyser leur séquence d'enseignement. Je me retrouve donc
souvent face à un stagiaire tétanisé de trac au point qu'il se statufie devant son piano, tel un animal sauvage traversant la route et pris dans les phares d'une voiture. Quand on lui demande ce
qui se passe, il formule souvent : "je ne sais plus quoi faire" et la tonalité angoissée de sa voix prouve que le 3° programme d'urgence s'est imposé, celui du caméléon, celui de l'inhibition de
l'action. Le stagiaire ne peut ni s'enfuir de la salle de classe et ni taper sur son élève, il ne peut que se bloquer, dans une attitude qui fait penser à l'expression populaire "disparaître dans
un trou de souris".
Je donne alors la seule piste pédagogique pour sortir du tragique de cette situation. Je lui dis : "agis... même si tu ne sais ni pourquoi ni comment, mais agis ! Construis à l'avance un exercice
de secours que tu vas pouvoir utiliser à cet instant. Quand même cette proposition n'aurait rien à voir avec le problème vocal de l'élève. Peu importe. Fais quelque chose. Bouge. Parle. Montre un
exemple". En effet,l'important est de contourner l'inhibition momentanée pour retrouver le mouvement de l'action. Et la meilleure manière de se remettre en branle, c'est d'invoquer le mécanisme
de fuite ou celui d'agression.
La fuite ? Sentir son corps bouger suffit pour débloquer la situation. On peut se lever si l'on était assis devant son piano et marcher dans la salle, autour de l'élève, pour réactiver son
système musculaire. Profiter de ce déplacement pour poser un regard différent sur la situation. Regarder la nuque ou le dos du chanteur pendant qu'il produit un son risque d'ouvrir de nouvelles
portes. Entendre autrement la résonance de la salle...
L'agression ? On utilise un détail, un élément de l'élève pour le provoquer avec humour, pour le faire rire, pour le faire réagir. On commente sa chanson, on commente sa voix : tout est bon pour
transformer l'énergie primordiale de lutte en énergie pédagogique au service de l'autre. Car je le redis avec force : l'important est de faire, même si on ne comprend pas tout ce qu'on fait au
moment où on le fait. Sans chercher la bonne réponse. Juste faire et s'amuser de faire, sans rien attendre d'intelligent ou d'organisé. Il s'agit de passer de la fonction "cerveau gauche", le
petite voix qui n'arrête pas de parler et de raisonner au fond de nous, à la fonction "cerveau droit", celle qui nous permet de "résonner" avec notre corps, avec nos émotions, nos
impulsions, sans nommer ce qui se passe, en se laisser simplement porter par le "flux" de l'instant qui nous immerge dans la piscine sensorielle de la perception...
Et c'est alors que le miracle opère : l'élève-professeur sort de son mutisme, de son immobilité tétanique, l'élève-chanteur réagit, le cours démarre, enfin. Les choses se mettent peu à peu en
place.
Dans mes activités récentes de coaching de vie, je propose le même schéma d'intervention aux personnes qui viennent me consulter en proie au doute existentiel, au manque de confiance, à la
pusillanimité, à la procrastination. Je les aide à construire un plan d'action adapté à leur histoire, à leur environnement. Et je démarre toujours avec des gestes simples comme parler,
chanter, écrire, marcher, danser, communiquer. Je leur propose d'acheter un cahier d'écolier pour noter ce qui leur arrive, je leur propose de téléphoner à un ami pour raconter ce qui se passe...
Bien sûr, ma proposition tient compte de ce qu'ils m'ont raconté de leur vie, de leurs espoirs, de leurs déceptions. Et cette proposition, nous la définissons ensemble car de nombreuses
expériences en neuro-pédagogie prouvent que de rendre l'autre partenaire d'une décision augmente grandement ses chances de réussir le challenge envisagé. Ce n'est pas simplement moi qui lui dit
quoi faire. Nous construisons à deux, en ping-pong, son programme quotidien d'action pour les prochains jours, pour les prochaines semaines.
Et ça marche. Ca marche aussi bien que dans les séminaires de supervision. La personne revient trente jours plus tard, le sourire aux lèvres, débordante d'histoires à me raconter sur les nouveaux
évènements de sa vie depuis notre dernier rendez-vous. Cela me ravit et parfois, dans le but de donner une clé supplémentaire pour comprendre leur transformation, je n'hésite pas à expliquer
qu'ils sont passé de la posture "caméleon" à la posture "gazelle" ou à la posture "chien" et que cela fait beaucoup de bien à leur physiologie interne et donc à leur humeur et donc à leur état
psychologique.
Ils s'étonnent et rient d'être comparé à des animaux mais je leur rappelle que nous sommes toujours à mi-chemin entre l'ange et la bête, pris en sandwich entre notre conscience intelligente et
notre conscience corporelle. Et qu'il vaut mieux partir du corps pour aller vers l'esprit. Partir de la sensation avant de remonter vers le sens. Privilégier l'action pour sortir du piège de
l'inhibition.
Richard Cross le 14 février 2021.
(1) https://www.femmeactuelle.fr/sante/news-sante/covid-19-et-depression-5-psys-alertent-sur-les-risques-et-proposent-des-solutions-immediates-2104839
(2) https://actu.orange.fr/france/covid-19-les-depressions-se-multiplient-magic-CNT000001uWz4v.html
(3) http://www.elogedelasuite.net/?p=580
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Sylvia (lundi, 15 février 2021 02:27)
Magnifique article ! Merci Richard